Une grand-mère lumineuse
A l’âge où ses congénères partent à la retraite, Yolande a, elle, au contraire, repris le chemin de l’école pour devenir ingénieure solaire et apporter la lumière dans son village !
Le grand voyage
« Je voulais depuis longtemps apporter quelque chose au village, toute ma famille a dit : "il faut envoyer grand-mère" », confie-t-elle, sourire aux lèvres.
A 50 ans passés, Yolande n'avait jamais pris l’avion, ni quitté sa terre natale, Madagascar. Mais quand on lui a proposé de partir un semestre entier jusqu’en Inde pour apprendre à installer et réparer des panneaux photovoltaïques, elle n’a pas hésité une seconde.
Alors, elle fonce. Contournant toutes les difficultés administratives, elle obtient son passeport, parvient à faire tous ses vaccins à temps et la voici qui s’envole pour New Delhi, flanquée de ses acolytes, trois autres grands-mères d’Ambakivao. A peine débarquée, la petite bande est happée par le tumulte de la capitale, «où il y a de la lumière partout et en permanence, sans aucune coupure d’électricité ».
Mais pas le temps de jouer les touristes, cap sur Tilonia, petit bourg du Rajasthan où se trouve le centre de formation des « grands- mères solaires ».
L’école des « va-nu-pieds »
Sorti tout droit de l’imagination de Bunker Roy, le Barefoot College est fondé sur la conviction que les solutions aux problèmes des populations démunies en milieu rural se trouvent dans la communauté, le patrimoine traditionnel et les nouvelles technologies qui ont simplement besoin d’être adaptées à leur situation.
Le complexe de 7 430 m2 qu’est aujourd’hui l’établissement a suivi le raisonnement à la lettre. Construit par des villageois, avec des matériaux locaux, selon des savoirs traditionnels transmis de génération en génération, ses besoins en énergie sont satisfaits par la technologie moderne : des panneaux solaires.
Au Barefoot College, des hommes et des femmes, le plus souvent illettrés, viennent d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine pour apprendre les bases de l’énergie solaire. Mais la langue n’est pas un obstacle. On apprend à distinguer les pièces par leur forme et leur couleur, on acquiert les compétences nécessaires en suivant des instructions mimées à l’aide de marionnettes.
Selon les propres mots du fondateur de l’école, Bunker Roy, « les meilleurs candidats, ce sont les femmes d’âge mûr. Elles font preuve d’humilité et il est facile de leur enseigner. Et surtout, elles sont acquises à leur village et n’ont aucun désir de partir. Tandis que si vous donnez un bout de papier à un jeune, il s’en ira en ville pour trouver un meilleur boulot ».
C’est en mars 2016, grâce à un partenariat entre le WWF et le Barefoot college, que les quatre grand-mères d’Ambakivao sont choisies pour participer à cette grande aventure.
Et la lumière fut !
Grâce à elles, désormais, la tombée de la nuit ne figure plus cette petite mort où tout s’arrête.
Il y a encore deux ans, à Ambakivao, on s'éclairait à la lampe à pétrole. Les enfants avaient des problèmes respiratoires et l’obscurité dopait l’insécurité. On raconte que dans ce tout petit village, deux hommes ont été abattus en toute impunité car personne n’a rien vu. Mais ça, c’était avant. Avant que Yolande et ses trois comparses ne reviennent de leur périple indien avec… l’électricité !
Le pied à peine posé sur la terre retrouvée, elles se sont mises à l’ouvrage, installant batteries, régulateurs et lampes LED dans toutes les maisons. C’est tout juste si elles ont accepté de déléguer l’installation des panneaux solaires sur les toits aux hommes du village.
Quand le jour s’achève, les habitants continuent à étudier, à lire, à jouer, à effectuer les gestes du quotidien, même les plus anodins. Assises autour de lanternes solaires, les femmes tressent des nattes de raphia qu’elles vendront au marché.
A 53 ans, la voilà qui s’écrit : « moi qui pensais que seuls les hommes étaient destinés à avoir du travail et du talent, pendant la formation, je me suis rendue compte que les femmes sont tout aussi capables ».
Préparer les poissons n’est plus une tannée et surtout, la sérénité est revenue. «Si jamais un danger survient, on le voit arriver » explique cette habitante. Yolande, elle, a cessé de récolter les petites crevettes qui servent d'appât de pêche à son mari.
A présent, elle recoud les filets et consacre une semaine par mois à l'atelier de réparation de l'installation solaire. L’autre victoire, moins palpable celle-là, c’est sans doute cette révélation qui frappe soudain Yollande. A 53 ans, la voilà qui s’écrit : « moi qui pensais que seuls les hommes étaient destinés à avoir du travail et du talent, pendant la formation, je me suis rendue compte que les femmes sont tout aussi capables ».
D’ailleurs, depuis son retour, elle a remarqué que les tâches étaient désormais un peu plus partagées à Ambakivao. «Depuis peu, les femmes recousent les filets ou accompagnent les hommes en mer pour pêcher ». Un village qui s’illumine, au propre, comme au figuré.