Financement de la nature : un sommet à Paris pour conjurer le sort et débloquer l’ambition internationale
Une chose est sûre : un effort herculéen doit être déployé pour affronter la crise écologique. Tout doit être mis en œuvre pour relever les défis que soulèvent un climat dangereusement instable et un monde du vivant au bord du précipice. Pour ce faire, la coopération internationale sera un passage incontournable : COP28, sommet de l’ONU sur les objectifs de développement durable, sommet des pays d’Amazonie, sommet des trois bassins forestiers… en 2023, les opportunités ne manqueront pas pour faire progresser la lutte internationale contre le réchauffement climatique et pour la protection de la biodiversité.
Pour approfondir le sujet :
CPLe même sort que Sisyphe
Pourtant, sans changement radical d’approche, ces efforts risquent d’être vains. Années après années, COP après COP, les gouvernements du monde entier s’efforcent d’accélérer la coopération sur le climat et la biodiversité mais buttent inlassablement sur un obstacle : l’argent. Le manque de solidarité, la structure et la distribution inadaptée des financements nourrit méfiance et suspicion, et bride l’action sur le terrain. Si rien n’est fait pour lever cet obstacle financier, les gouvernements connaîtront bientôt le même sort que Sisyphe : condamnés à pousser encore et encore un rocher massif en haut d’une montagne, avant de le voir dégringoler la pente jusqu’à revenir à son point de départ, faute d’une entente politique mondiale sur le financement de l’action écologique.
Les dirigeants enfin décidés à prendre le problème à-bras-le-corps
Cependant, tout n’est pas perdu. Ces 22 et 23 juin se tiendra à Paris le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Pour la première fois, les dirigeants du monde se sont décidés à prendre le problème à-bras-le-corps en consacrant un sommet international pour repenser la finance. Le programme est ambitieux : restaurer la confiance entre pays et partenaires de moins en moins enclins à coopérer faute de solidarité, adapter la distribution du financement aux enjeux du 21e siècle et, surtout, amorcer un véritable changement visible et mesurable sur le terrain. Les pays en développement en ont besoin : en première ligne face au réchauffement climatique dont ils ne sont pas ou peu responsables, ils manquent de financements et de capacité budgétaire pour y répondre.
L’an dernier, le lancement de l'Agenda de Bridgetown, porté par Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, a marqué un premier tournant en ce sens. Dans un discours prononcé devant la Fondation Kofi Annan, Mme Mottley a mis en garde contre l'aggravation de l'endettement des pays pauvres, sous l'effet conjugué des chocs climatiques, sanitaires mais aussi de la conjoncture économique internationale. Des propositions de réformes ont été présentées aux banques multilatérales de développement (BMD) ainsi qu’au Fonds monétaire international (FMI), afin de les doter d’outils capables d’accompagner les transitions vers l’objectif « zéro émission nette » et l’adaptation des pays en développement au réchauffement climatique. Grâce à leur capacité à proposer des garanties et des prêts concessionnels, et en modifiant les règles des mécanismes financiers internationaux existants, tels que les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI, ces institutions pourraient libérer des centaines de milliards de dollars et contribuer pleinement à l’action climatique.
C’est aussi le sens de l’initiative prise par le président français Emmanuel Macron en proposant ce sommet. A l’ordre des 22 et 23 juin à Paris : explorer les réformes et mécanismes innovants de financement pour « bâtir un nouveau contrat entre le Nord et le Sud pour faire face au changement climatique et à la crise mondiale ».
Des actions précises attendues à Paris
La transition vers une économie bénéfique pour la nature pourra générer des opportunités commerciales annuelles d'une valeur de 10 000 milliards de dollars.
Face à ce problème, les dirigeants politiques et les institutions financières ont une opportunité unique de repartir sur de bonnes bases pour renforcer la capacité de pays les plus vulnérables à agir et financer la transition vers une économie mondiale « zéro émission nette » et respectueuse de la nature. Pour commencer : les banques multilatérales de développement du monde entier devront donner suite à leur déclaration commune sur la nature, adoptée en 2021, et aligner leurs activités sur les objectifs de l'accord de Paris et du Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal.
Les chefs d’État réunis à Paris devront aussi donner une impulsion déterminante au développement de contrats politiques et financiers novateurs récemment annoncés, tels que les Partenariats pour la Conservation Positive et les programmes d'investissement dans les forêts et l'utilisation des terres. Ces outils visent à financer les mesures prises par les pays pour maintenir ou accroître leurs réserves naturelles et de carbone. Ils promettent de créer des incitations économiques, soutenues par de nouveaux financements, pour que les pays en développement protègent leurs réserves de carbone et de biodiversité, vitales à l'échelle mondiale.
Les dirigeants devront également s’attaquer à la dette insoutenable des pays en développement et les plus vulnérables au changement climatique. Les mécanismes innovants pour s’attaquer à ce problème ne manquent pas : conversion de dette ou renforcement des liens entre engagements climatiques et obligations de la dette souveraine sont des outils à utiliser pour redonner de la marge d’action écologique aux pays les plus pauvres.
Enfin, des décisions doivent être prises de toute urgence pour réorienter les 5 900 milliards de dollars de subventions aux combustibles fossiles et les 1 800 milliards de dollars accordés à des activités nocives pour la nature. Il est inadmissible que tant de gouvernements dépensent l'argent de leurs contribuables dans des activités qui aggravent la situation climatique. D’autant que la transition vers une économie bénéfique pour la nature pourra générer des opportunités commerciales annuelles d'une valeur de 10 000 milliards de dollars et créer 395 millions d'emplois d'ici à 2030. Les décisions qui sont prises à Paris conditionneront le succès des échéances internationales attendues en 2023 et en 2024 : le sommet du G20 à New Delhi, les négociations sur le climat de la COP28 à Dubaï et la COP sur la biodiversité qui aura lieu en Turquie l'an prochain. Si les dirigeants du monde entier unissent leurs forces et vont de l’avant, forts d’un accord politique robuste sur le financement international, le rocher de Sisyphe ne retombera plus.
Les signataires
Manuel PULGAR-VIDAL, Directeur Climat-Energie du WWF International
Véronique ANDRIEUX, Directrice générale du WWF France