[Tribune] La Méditerranée à la croisée des chemins : far west ou développement soutenable ?
40 % de la superficie de la Méditerrannée couverte par de l’exploitation de gaz et de pétrole ? Ce n’est pas un scénario de science fiction mais le résultat inédit d’une étude publiée ce mardi 19 novembre par le WWF portant sur l’avenir de la grande bleue. 20 % de sa surface est déjà ouverte aux permis de recherche d’hydrocarbures. Et 20 % supplémentaire risque fort de s’y ajouter selon l’analyse des politiques publiques actuellement menées par les pays riverains.
L’étude Medtrends est la première à analyser le développement de 10 secteurs économiques clé (tourisme, pêche, aquaculture, transport maritime, énergie…) et à regarder ce qui se passera en 2030 si les tendances actuelles se poursuivent. La réponse est simple : la grande bleue, plus grande mer semi fermée au monde, sera en burn out ! Les chiffres parlent d’eux mêmes : 200 millions de touristes supplémentaires par rapport à 2011, 5000 km de littoraux artificialisés de plus en 2025 qu’en 2005, 112 % de production d’aquaculture en plus d’ici 2030, etc… résultat évident : l’objectif de bon état écologique des eaux fixés par l’Union européen pour 2020 n’a aucune chance d’être atteint si ces tendances se confirment.
L’étude met en évidence l’absence totale de planification stratégique de la Méditerranée. Or, de nombreux conflits sont à prévoir entre les différentes activités économiques d’une part, et avec les objectifs écologiques d’autre part. Difficile d’imaginer que la grande bleue reste à la fois la première destination touristique au monde et que 40 % de sa superficie se couvre de plateformes pour extraire des hydrocarbures et toutes sortes de minerais ! Même si la baisse récente du prix du pétrole va certainement ralentir les ardeurs des foreurs, imaginez les impacts d’une marée noire dans cette mer semi fermée ! Quant à la nature et aux espèces marines elles sont, comme souvent, les premières victimes du Far West qu’est devenue la grande bleue. Le golfe du Lion par exemple, à cheval sur la France et l’Espagne, est l’une des zones reconnues comme les plus riches sur le plan de la biodiversité et où les permis d’exploitation d’hydrocarbures se sont multipliés !
Enfin, les conflits risqueraient forts de ne pas être qu’économiques. Car la ruée vers l’or noir offshore au large de la Libye, du Liban, d’Israël ou de l’Egypte constituera un facteur de multiplication des conflits.
Pour éviter ce scénario noir, le WWF propose d’abord d’arrêter toute nouvelle exploration d’hydrocarbures dans la Méditerranée, en cohérence avec les engagements pris par les Etats lors de la COP21. Au-delà, il faut que l’Union européenne se dote d’un outil de planification stratégique des activités économiques en Méditerranée. La Directive de Planification de l’Espace Maritime existe certes depuis juillet 2014, et c’est un progrès qu’il faut souligner, mais elle n’est pas encore en application. Enfin, alors que la Méditerranée ne représente qu’1 % de la totalité de la surface des mers du monde, on y trouve autour de 10 % de la biodiversité marine mondiale. Et pourtant seul 3 % de sa superficie est protégé alors que l’engagement est de parvenir à 10 % en 2020.
Les mesures à prendre pour éviter le burn out de notre Méditerranée sont connues. C’est maintenant qu’il faut les prendre.
Pascal Canfin,
Directeur Général WWF France