COP15 : point d’étape sur le progrès des négociations
Il y a une semaine, la COP15 sur la biodiversité s’ouvrait à Montréal après des négociations préparatoires décevantes, où les négociateurs avaient, une fois de plus, campé sur leurs positions. Depuis une semaine, le ton a changé à Montréal, les négociations se sont nettement accélérées et les délégations sont mises sous pression pour se débarrasser des centaines de passages contentieux encore entre “crochets”. Pas assez cependant pour dégager des options claires sur les sujets les plus difficiles (aires protégées, empreinte écologique, financement, mise en œuvre), que les ministres devront s’atteler à dénouer dès leur arrivée à Montréal, mercredi, pour le segment de haut-niveau. En jeu, l’accord de la décennie pour inverser l’effondrement de la biodiversité.
1. Un changement de ton, des délégations mises sous pression
Les négociations préparatoires (dites OEWG5) tenues à Montréal juste avant l’ouverture de la COP15 avaient marqué une nouvelle déception, les négociateurs ayant campé sur leurs positions et épaissi encore davantage le projet d’accord en portant à 1 400 le nombre de passages entre crochets qui restaient encore à trancher (contre 900 dans le projet retravaillé en septembre par un groupe de travail informel). Depuis l’ouverture de la COP, le ton des négociations a changé et les délégations ont été mises sous pression pour accélérer et simplifier le projet d’accord en y laissant des options claires sur les sujets les plus difficiles pour faciliter les derniers arbitrages politiques.
2. Des États d’accord sur le principe de protéger la biodiversité… mais pas d’accord sur les mesures à prendre pour protéger la biodiversité
Cette méthode a permis d’obtenir des avancées : les négociateurs semblent s’être mis d’accord sur un cap pour protéger et restaurer la biodiversité d’ici 2030. En effet, l’objectif principal de l’accord mondial, appelé “mission” est enfin prêt à être négocié : “enrayer et inverser” la tendance à l’effondrement de la biodiversité d’ici 2030, “viser un monde positif en nature” de sorte qu’il y ait plus de biodiversité en 2030 qu’en 2020… toutes les options sont sur la table et se dégagent clairement du texte qui ressort de cette première semaine de négociations. Charge aux ministres de trancher.
Si elles semblent avoir trouvé un accord sur le principe de protéger et restaurer la biodiversité d’ici 2030, les délégations des 193 États réunis à Montréal continuent de diverger sur la plupart des mesures qui devraient leur permettre d’atteindre cet objectif. La protection de 30% des terres et des mers a été régulièrement mise en cause par plusieurs pays. Certains paragraphes de l’accord, comme la cible 1, pourraient même acter des reculs inacceptables : le langage en cours de négociation pourrait atterrir sur un résultat à peine plus ambitieux que l’objectif 5 d’Aichi, et signifier que les États accepteraient, dans les prochaines années, de perdre encore davantage d’écosystèmes intacts, épargnés par l’activité humaine, qui ne représentent plus que 3% des terres à l’échelle mondiale.
3. Plusieurs priorités pour la biodiversité sont en danger
L’idée même de réduire notre empreinte écologique est en danger : alors qu’elle constitue une priorité pour protéger la biodiversité là où elle ne sera pas placée sous aire protégée, l’idée même de réduire l'empreinte écologique de notre consommation et production sur la biodiversité n’est pas encore acquise, en dépit de la mobilisation de parties comme l’Union européenne. Il faudra pourtant non seulement acter le principe d’une réduction de l’empreinte, mais aussi chiffrer l’effort (que le WWF porte à une réduction d’au moins 50% d’ici 2030) et le décliner dans plusieurs mesures sectorielles : si la promotion des pratiques agroécologiques connaît un soutien croissant dans le texte, le consensus autour de la réduction de l’utilisation des pesticides n’a pas progressé et la responsabilité des entreprises dans la lutte contre la déforestation dans leur chaînes d'approvisionnement n’apparaît pas dans le projet d’accord.
De même, le mécanisme de mise en œuvre, qui faisait défaut aux objectifs d’Aichi - dont aucun n'a été atteint, n’a pas davantage mobilisé les États, au risque de négocier un accord ambitieux qui pourrait rester… sans suivi ni redevabilité, faute d’appropriation nationale fondée sur des indicateurs communs, sur un exercice de bilan commun au terme duquel les États devraient en tirer les conclusions et accélérer à l’aide d’un mécanisme “cliquet” pour relever leurs efforts.
4. Le rôle clé des ministres attendus à Montréal
Alors que les négociateurs poursuivent leurs efforts pour livrer un projet de texte “prêt-à-arbitrer”, il reviendra aux ministres de trouver un accord sur les sujets les plus difficiles. Le financement de la biodiversité en fera partie : à ce sujet épineux, des discussions pragmatiques et constructives ont été observées et devraient permettre de faciliter les négociations en priorisant une stratégie de financement dite d'intérim, couvrant la période 2022-2024, avant de négocier, d’ici la COP16 une stratégie de plus long terme alignée avec les objectifs visés à 2030 par le cadre mondial sur la biodiversité. Dans un contexte où la biodiversité reste sous-financée et sa destruction sur-subventionnée, par des dépenses publiques néfastes à la biodiversité estimées entre 800 et 1800 milliards de dollars par an, les pays en développement ont appelé, à plusieurs reprises, les pays développés à renforcer leurs engagements et à faciliter l’accès aux financements. Le règlement de la question du financement dépendra des engagements financiers formulés au niveau politique au cours de cette deuxième semaine, par les ministres comme par les institutions financières internationales et banques de développement.
L’ambition, qu’elle porte sur la protection de 30% des terres et des mers ou sur la réduction drastique de l’empreinte écologique mondiale, demeure étroitement dépendante du règlement de la question financière. Elle ne doit pas faire les frais d’un jeu de compromis, et devra être défendue avec un fort engagement politique par les ministres des pays qui défendent des positions ambitieuses à la COP15. Le WWF France appelle le ministre de la transition écologique Christophe Béchu à porter, avec ses partenaires des pays en développement, un objectif chiffré de réduction de moitié de l’empreinte écologique mondiale d’ici 2030… fort de l'accord européen justement décroché avant la COP15 pour le nouveau règlement contre la déforestation.