Proposition de loi européenne sur la déforestation : Un bon départ, mais des lacunes à combler
Ce mercredi 17 novembre, la Commission européenne a présenté un projet de législation visant à lutter contre la déforestation. Si le texte présenté inclut plusieurs dispositions utiles et attendues, le WWF France, mobilisé depuis plus de deux ans via la campagne Together4Forests, craint que certaines failles viennent compromettre l’opportunité inédite d’écarter la déforestation du marché européen.
L’UE, ancien cancre, ne veut plus contribuer à la déforestation mondiale
C'est la part de déforestation associée au commerce international de l'Union Européenne.
Répondant aux attentes exprimées par les citoyens, la Commission européenne a décidé d’agir en proposant une législation qui vise à garantir aux consommateurs que les produits qu’ils trouvent sur le marché européen ne sont pas liés à la déforestation.
Cette proposition prévoit des dispositions nécessaires parmi lesquelles la garantie que les produits mis sur le marché ne seront plus liés à la déforestation (même si celle-ci est autorisée par les pays producteurs), la traçabilité des produits jusqu'au lieu d'origine ou encore des mesures fortes pour faire appliquer la législation dans toute l'UE. Concrètement, une fois la législation adoptée, les entreprises soumises à la loi devront vérifier, avant de mettre un produit sur le marché, qu’il n’est pas issu d’une terre qui a été déforestée et dans le cas contraire, renoncer à le commercialiser.
L’Union européenne prend ainsi une initiative nécessaire et attendue de longue date pour mettre un terme à des années de contribution à la déforestation mondiale. En effet, entre 2005 et 2017, les importations de l'UE ont provoqué la déforestation de 3,5 millions d'hectares de terres (soit 1 807 millions de tonnes de CO2). En 2021, l’UE reste le deuxième plus grand importateur de matières premières liées à la déforestation et à l’origine de 16 % de la déforestation associée au commerce international. Elle se place ainsi après la Chine (24 %) mais devant l'Inde (9 %), les États-Unis (7 %) et le Japon (5 %).
Cette proposition représente une brique décisive du Green deal européen étant donné le rôle de la déforestation dans l’accélération du changement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
Un projet lacunaire qui devra être amélioré par le Conseil et le Parlement
La proposition actuelle se limite à six commodités (soja, huile de palme, cacao, café, bœuf et bois) et en laisse plusieurs de côté sans raison comme le caoutchouc, le maïs, le sucre et le poulet.
Cependant, la législation n’aura un impact réel pour le climat et la biodiversité que si l’UE corrige plusieurs lacunes existantes :
- La législation ne doit pas se limiter aux forêts et assurer dès maintenant la protection des autres écosystèmes naturels (savanes, prairies, tourbières, etc.) : les scientifiques et la société civile alertent depuis plusieurs années sur la nécessité de protéger ces écosystèmes, moins médiatisés que les forêts alors qu’ils sont essentiels pour le climat et la biodiversité. L’UE a une responsabilité spéciale dans leur destruction : en 2018, 23% des importations de l’UE de soja d’Amérique du Sud provenaient du Cerrado et 70% de la conversion associée aux importations européennes en provenance d’Amérique du Sud était concentrée dans le Cerrado. Alors que des records de conversion ont eu lieu ces dernières années dans la savane du Cerrado ou la zone humide du Pantanal, nous ne pouvons pas attendre plus longtemps pour les protéger et devons agir dès maintenant.
- La législation doit couvrir l’ensemble des matières premières et produits susceptibles d’être liés à la conversion d’écosystèmes : la proposition actuelle se limite à six commodités (soja, huile de palme, cacao, café, bœuf et bois) et en laisse plusieurs de côté sans raison. Si les règles s’appliquent au bœuf, elles doivent s’appliquer pour le poulet, si elles s’appliquent au soja et au café, elles doivent s’appliquer pour le caoutchouc, le maïs, le sucre, etc.
- Le respect des droits humains doit être garanti : le projet de législation ne mentionne pas la nécessaire protection des droits des peuples autochtones et communautés locales, dont la survie dépend de ces écosystèmes, et notamment la nécessité d’obtenir leur consentement libre, informé et préalable.
Nous comptons sur le Parlement et les Etats membres pour renforcer la proposition de la Commission et garantir que la législation inclut tous les produits concernés et protège tous les écosystèmes.
« La contribution du marché européen à la déforestation n’a que trop duré. Scientifiques, citoyens, ONG, entreprises… l’ensemble de la société européenne fait pression depuis des années pour sortir la déforestation de nos assiettes, réservoirs, cosmétiques. Si besoin était, Glasgow a rappelé que les écosystèmes naturels sont nos meilleurs alliés dans la lutte contre le changement climatique. L’UE doit saisir l’opportunité inédite de cette législation pour fixer un cadre clair pour les entreprises importatrices et les pays producteurs. Nous comptons sur le Parlement et les Etats membres pour renforcer la proposition de la Commission et garantir que la législation inclue tous les produits concernés et protège tous les écosystèmes. La responsabilité est particulièrement forte pour la France, qui a fait de ce combat un marqueur à l’international et a une occasion en or, en tant que future présidente de l’UE, de transformer ses promesses en actes. »
Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France
La France sera-t-elle la championne de la lutte contre la déforestation ?
Le gouvernement français aura une responsabilité particulière puisque c’est la France qui occupera la présidence de l’UE à partir de janvier 2022 et qui présidera les débats sur cette législation. Après plusieurs années de promesses d’actions en France et à l’international, Emmanuel Macron a l’occasion de transformer ses engagements en actes en faisant adopter une législation ambitieuse.