Savanes, prairies, mangroves… le WWF alerte sur les grands oubliés de l’UE
Alors que le projet de loi présenté par la Commission européenne en novembre dernier ne cible à ce jour que les forêts, le WWF publie un rapport, réalisé avec le cabinet 3Keel, qui démontre qu’en laissant de côté certains écosystèmes dans le champ d’application du règlement, l’UE compromettrait ses chances d’atteindre ses objectifs de lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité.
Il montre également que des solutions techniques existent. Puisque tout converge vers leur intégration dès l’entrée en vigueur de la loi, nous appelons la France et le Parlement à porter cette ambition.
La tragédie de la perte des milieux naturels, détruits dans l’indifférence générale
35% des mangroves ont disparu en seulement 20 ans.
Si tous les français connaissent la forêt amazonienne, combien ont entendu parler des écosystèmes voisins : les savanes du Cerrado et du Chaco ou la zone humide du Pantanal ? Alors que la déforestation fait régulièrement la une des médias, la destruction d’autres milieux naturels, souvent voisins des forêts, est passée sous silence et encore largement méconnue par les citoyens et décideurs publics. Pourtant, ils subissent le même sort que les forêts tropicales. La moitié des prairies et savanes du monde a déjà été perdue. 15% des réserves mondiales de tourbières sont détruites ou dégradées et 35% des mangroves ont disparu en seulement 20 ans.
L’appétit dévorant de l’Union européenne pour les écosystèmes naturels
« Nous comptons sur la France et le Parlement européen pour modifier le projet de loi et intégrer les milieux naturels dès son entrée en vigueur. »
Comme pour les forêts, c’est l’agriculture qui est responsable de la perte des milieux naturels, détruits pour être transformés en pâturages, en champ de soja, maïs, blé ou en cultures de palmiers, d’hévéa ou de crevettes. Là aussi, notre consommation en Europe a une responsabilité majeure. En effet, nos importations ne proviennent pas de régions uniquement forestières mais aussi de milieux non forestiers ou mixtes : savane du Chaco argentin, pampa argentine, prairies nords-américaines, tourbières de Sumatra et Bornéo, mangroves indonésiennes etc.
Ces destructions ne sont pas sans conséquence étant donné l’importance des milieux naturels pour le climat et la biodiversité. Le rapport souligne par exemple que les prairies et savanes stockent deux fois plus de CO2 que les forêts tropicales ou que la destruction des tourbières est responsable de 5% des émissions de GES mondiales, soit le double des émissions de l’aviation mondiale. Nous ne pouvons atteindre nos objectifs climatiques en laissant certains écosystèmes partir en fumée. De même pour nos objectifs sur la biodiversité puisque ces milieux accueillent des centaines d’espèces en danger critique d’extinction.
Face à l’urgence, l’Union européenne envisage d’attendre
Dans son projet, présenté le 17 novembre dernier, la Commission restreint le champ d’application aux forêts et propose d’étudier, dans deux ans, la pertinence de l’étendre à d’autres écosystèmes naturels. Cet attentisme est incompréhensible étant donné l’urgence écologique actuelle et la vitesse de conversion actuelle de ces écosystèmes. Pire, notre rapport souligne que protéger uniquement les forêts pourrait accélérer la conversion de zones (notamment voisines) qui n’entreraient pas dans la définition de la Commission. Par exemple, le moratoire sur le soja en Amazonie (2006), a contribué à réduire la déforestation en Amazonie alors que la conversion du Cerrado en terres cultivées au cours de la même période a continué à augmenter, passant de 7% entre 2003-2005 à 16% entre 2011-13.
« Le projet de règlement présenté par l'UE est une opportunité inédite d'agir fortement pour le climat et la biodiversité. Mais s'il ne s'applique qu'à un écosystème (les forêts) aux dépens des autres (prairies, savanes, etc.), il risque de manquer son objectif et d'accélérer la perte de nature dans les milieux exclus du règlement. Des solutions existent et certaines entreprises les appliquent déjà, il n'y a donc aucune raison d'attendre deux ans de destructions supplémentaires avant d'agir. Nous comptons sur la France et le Parlement européen pour modifier le projet de loi et intégrer les milieux naturels dès son entrée en vigueur. » Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France
Bonne nouvelle : c’est possible et le travail a déjà commencé
Si la nécessité de protéger ces milieux est incontestable, l’ultime question réside dans la capacité des entreprises à appliquer une législation étendue à d’autres milieux naturels. Le rapport démontre que c’est possible en soulignant que plusieurs cadres politiques s’étendent déjà à d’autres écosystèmes que les forêts (directive RED, loi sur le devoir de vigilance) et que plusieurs entreprises mettent déjà en œuvre des politiques visant à exclure la conversion des milieux naturels de leurs chaînes d’approvisionnement. Il présente notamment un éventail de guides (comme ceux de l’Accountability Framework Initiative) et d’outils disponibles (technologies satellitaires telles que MapBiomas qui permet d’identifier si et où la conversion a lieu dans un lieu d’approvisionnement) pour aider les entreprises à répondre aux obligations fixées par le règlement. Ce que les entreprises feront pour les forêts, elles peuvent le faire pour d’autres écosystèmes.
Ce rapport doit permettre de faire gagner deux ans à l’UE et, surtout, aux milieux naturels. Nous ne pouvons pas nous permettre de reporter l’action à demain. Le WWF appelle donc les États membres et le Parlement à se saisir des conclusions de ce rapport et à porter l’intégration des milieux naturels dans le projet de règlement européen.